Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout en mouvement ; le patriarche faisoit le tour de son champ, à la tête de ses serviteurs, armés de faucilles. Si le bruit se répandoit que les petits de l’alouette avoient été vus voltigeant, à cette grande nouvelle tout un peuple, sur la foi de Dieu, commençoit avec joie la moisson. Ces aimables signes, en dirigeant les soins de la saison présente, avoient l’avantage de prédire les vicissitudes de la saison prochaine. Les oies et les sarcelles arrivoient-elles en abondance, on savoit que l’hiver seroit long. La corneille commençoit-elle à bâtir son nid au mois de janvier, les pasteurs espéroient en avril les roses de mai. Le mariage d’une jeune fille, au bord d’une fontaine, avoit tel rapport avec l’épanouissement d’une plante ; et les vieillards, qui meurent ordinairement en automne, tomboient avec les glands et les fruits mûrs. Tandis que le philosophe, tronquant ou allongeant l’année, promenoit l’hiver sur le gazon du printemps, le laboureur ne craignoit point que l’astronome qui lui venoit du ciel se trompât. Il savoit que le rossignol ne prendroit point le mois des frimas pour celui des fleurs et ne feroit point entendre au solstice d’hiver les chansons de l’été. Aussi les soins, les jeux, les plaisirs de l’homme champêtre étoient déterminés non par le calendrier incertain d’un savant, mais par les calculs infaillibles de celui qui a tracé la route du soleil. Ce souverain Régulateur voulut lui-même que les fêtes de son culte fussent assujetties aux simples époques empruntées de ses propres ouvrages, et dans ces jours d’innocence, selon les saisons et les travaux, c’étoit la voix du zéphyr ou de la tempête, de l’aigle ou de la colombe, qui appeloit l’homme au temple du Dieu de la nature.

Nos paysans se servent encore quelquefois de ces tables charmantes où sont gravés les temps des travaux rustiques. Les peuples de l’Inde en font le même usage, et les nègres et les sauvages américains gardent cette manière de compter. Un Siminole de la Floride vous dit : « La fille s’est mariée à l’arrivée du colibri. — L’enfant est mort quand la non-pareille a mué. — Cette mère a autant de fils qu’il y a d’œufs dans le nid du pélican. »

Les sauvages du Canada marquent la sixième heure du soir par le moment où les ramiers boivent aux sources, et les sauvages de la Louisiane par celui où l’éphémère sort des eaux. Le passage des divers oiseaux règle la saison des chasses, et le temps des récoltes du maïs, du sucre d’érable, de la folle-avoine, est annoncé par certains animaux qui ne manquent jamais d’accourir à l’heure du banquet.