Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/136

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conserve son instinct en tout climat, et nous voyons par rapport à l’homme une chose bien différente.

Loin de suivre la loi générale des êtres, loin de se fortifier là où la matière est supposée plus active, l’homme, au contraire, s’affaiblit en raison de l’accroissement de la création animale autour de lui. L’Indien, le Péruvien, le Nègre au Midi, l’Esquimau, le Lapon au Nord, en sont la preuve. Il y a plus : l’Amérique, où le mélange des limons et des eaux donne à la végétation la vigueur d’une terre primitive, l’Amérique est pernicieuse aux races d’hommes, quoiqu’elle le devienne moins chaque jour, en raison de l’affaiblissement du principe matériel. L’homme n’a toute son énergie que dans les régions où les éléments, moins vifs, laissent un plus libre cours à la pensée, où cette pensée, pour ainsi dire dépouillée de son vêtement terrestre, n’est gênée dans aucun de ses mouvements, dans aucune de ses facultés.

Il faut donc reconnaître ici quelque chose en opposition directe avec la nature passive : or, cette chose est notre âme immortelle. Elle répugne aux opérations de la matière ; elle est malade, elle languit quand elle est trop touchée, Cet état de langueur de l’âme produit à son tour la débilité du corps ; le corps qui, s’il eût été seul, eût profité sous les feux du soleil, est contrarié par l’abattement de l’esprit. Que si l’on disait que c’est, au contraire, le corps qui, ne pouvant supporter les extrémités du froid et du chaud, fait dégénérer l’âme en dégénérant lui-même, ce serait une seconde fois prendre l’effet pour la cause. Ce n’est pas le vase qui agit sur la liqueur, c’est la liqueur qui tourmente le vase, et ces prétendus effets du corps sur l’âme sont les effets de l’âme sur le corps.

La double débilité mentale et physique des peuples du Nord et du Midi, la mélancolie dont ils semblent frappés, ne peuvent donc, selon nous, être attribuées à une fibre trop relâchée ou trop tendue, puisque les mêmes accidents ne produisent pas le même effet dans les zones tempérées. Cette affection plaintive des habitants du pôle et des tropiques est une véritable tristesse intellectuelle, produite par la position de l’âme et par ses combats contre les forces de la matière. Ainsi, non seulement Dieu a marqué sa sagesse par les avantages que le globe retire de la diversité des latitudes ; mais en plaçant l’homme sur cette échelle il nous a démontré presque mathématiquement l’immortalité de notre essence, puisque l’âme se fait le plus sentir là où la matière agit le moins, et que l’homme diminue où la brute augmente.

Touchons une dernière objection :

" Si l’idée de Dieu est naturellement empreinte dans nos âmes, elle