Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/143

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musc et de la plus pure farine de froment, qu’arrosent le fleuve de vie et l’Acawtar, rivière qui prend sa source sous les racines du Tuba, ou l’arbre du bonheur. Des fontaines dont les grottes sont d’ambre gris et les bords d’aloès murmurent sous des palmiers d’or. Sur les rives d’un lac quadrangulaire reposent mille coupes faites d’étoiles, dont les âmes prédestinées se servent pour puiser l’onde. Les élus, assis sur des tapis de soie à l’entrée de leurs tentes, mangent le globe de la terre, transformé par Allah en un merveilleux gâteau. Des eunuques et soixante-douze filles aux yeux noirs leur servent dans trois cents plats d’or le poisson Nun et les côtes du buffle Bâlam. L’ange Israfil chante de beaux cantiques ; les houris mêlent leurs voix à ses concerts, et les âmes des poètes vertueux, retirées dans la glotte de certains oiseaux qui voltigent sur l’arbre du bonheur, accompagnent le chœur céleste. Cependant des cloches de cristal, suspendues aux palmiers d’or, sont mélodieusement agitées par un vent sorti du trône de Dieu[1].

Les joies du ciel des Scandinaves étaient sanglantes ; mais il y avait de la grandeur dans les plaisirs attribués aux ombres guerrières ; elles assemblaient les orages et dirigeaient les tourbillons : ce paradis était le résultat du genre de vie que menait le barbare du Nord. Errant sur des grèves sauvages et prêtant l’oreille à cette voix qui sort de l’Océan, il tombait peu à peu dans la rêverie ; égaré de pensée en pensée, comme les flots de murmure en murmure, dans le vague de ses désirs ; il se mêlait aux éléments, montait sur les nues fugitives, balançait les forêts dépouillées, et volait sur les mers avec les tempêtes.

Les enfers des nations infidèles sont aussi capricieux que leur ciel : nous parlerons du Tartare dans la partie littéraire de notre ouvrage, où nous allons entrer à l’instant. Quoi qu’il en soit, les récompenses que le christianisme promet à la vertu, et les châtiments qu’il annonce au crime, se font reconnaître au premier coup d’œil pour les véritables. Le ciel et l’enfer des chrétiens ne sont point imaginés d’après les mœurs particulières d’un peuple, mais ils sont fondés sur des idées générales qui conviennent à toutes les nations et à toutes les classes de la société. Ecoutez ce qu’il y a de plus simple et de plus sublime en quelques mots : — Le bonheur du juste consistera, dans l’autre vie, à posséder Dieu avec plénitude ; — le malheur de l’impie sera de connaître les perfections de Dieu, et d’en être à jamais privé.

On dira peut-être que le christianisme ne fait que répéter ici les leçons des écoles de Platon et de Pythagore. On convient donc au

  1. Le Coran et les poètes arabes. (N.d.A.)