Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/464

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

fort incommodes, elles n’en étouffent jamais aucun… Dans tous les voyages qu’elles font, soit sur mer, soit sur terre, elle les portent avec elles, sous leurs bras, dans un petit lit de coton qu’elles ont en écharpe, lié par-dessus l’épaule, afin d’avoir toujours devant les yeux l’objet de leurs soucis[1]. "

On croit lire un morceau de Plutarque traduit par Amyot.

Naturellement enclin à voir les objets sous un rapport simple et tendre, le père Dutertre ne peut manquer d’être fort touchant quand il parle des nègres. Cependant il ne les représente point à la manière des philanthropes, comme les plus vertueux des hommes ; mais il y a une sensibilité, une bonhomie, une raison admirable dans la peinture qu’il fait de leur sentiments.

" L’on a vu, dit-il, à la Guadeloupe une jeune négresse si persuadée de la misère de sa condition, que son maître ne put jamais la faire consentir à se marier au nègre qu’il lui présentait. (…)

Elle attendit que le père (à l’autel) lui demandât si elle voulait un tel pour son mari, car pour lors elle répondit avec une fermeté qui nous étonna : Non, mon père, je ne veux ni de celui-là ni même d’aucun autre ; je me contente d’être misérable en ma personne, sans mettre des enfants au monde qui seraient peut-être plus malheureux que moi, et dont les peines me seraient beaucoup plus sensibles que les miennes propres. Elle est aussi toujours constamment demeurée dans son état de fille, et on l’appelait ordinairement la Pucelle des Iles. "

Le bon père continue à peindre les mœurs des nègres, à décrire leurs petits ménages, à faire aimer leur tendresse pour leurs enfants ; il entremêle son récit des sentences de Sénèque, qui parle de la simplicité des cabanes où vivaient les peuples de l’âge d’or ; puis il cite Platon, ou plutôt Homère, qui dit que les dieux ôtent à l’esclavage une moitié de sa vertu : Dimidium mentis Jupiter illis aufert ; il compare le Caraïbe sauvage dans la liberté au nègre sauvage dans la servitude, et il montre combien le christianisme aide au dernier à supporter ses maux.

La mode du siècle a été d’accuser les prêtres d’aimer l’esclavage et de favoriser l’oppression parmi les hommes ; il est pourtant certain que personne n’a élevé la voix avec autant de courage et de force en faveur des esclaves, des petits et des pauvres, que les écrivains ecclésiastiques. Ils ont constamment soutenu que la liberté est un droit imprescriptible du chrétien. Le colon protestant, convaincu de cette vérité,

  1. Hist. des Ant., t. II, p. 375. (N.d.A.)