Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/486

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certeinne que je le ferai volontiers, car je l’avoie jà bien enpensé que vous occiroie avant qu’ils vous eussent prins[1]. "

Les entreprises solitaires servaient au chevalier comme d’échelons pour arriver au plus haut degré de gloire. Averti par les ménestriers des tournois qui se préparaient au gentil pays de France, il se rendait aussitôt au rendez-vous des braves. Déjà les lices sont préparées ; déjà les dames, placées sur des échafauds élevés en forme de tours, cherchent des yeux les guerriers parés de leurs couleurs. Des troubadours vont chantant :

Servants d’amour, regardez doulcement

Aux eschafaux, anges de paradis,

Lors jousterez fort et joyeusement,

Et vous serez honorez et chéris.

Tout à coup un cri s’élève : " Honneur aux fils des preux ! " Les fanfares sonnent, les barrières s’abaissent. Cent chevaliers s’élancent des deux extrémités de la lice, et se rencontrent au milieu. Les lances volent en éclats ; front contre front, les chevaux se heurtent et tombent. Heureux le héros qui, ménageant ses coups et ne frappant, en loyal chevalier, que de la ceinture à l’épaule, a renversé sans le blesser son adversaire ! Tous les cœurs sont à lui, toutes les dames veulent lui envoyer de nouvelles faveurs pour orner ses armes. Cependant des hérauts crient au chevalier : Souviens-toi de qui tu es fils, et ne forligne pas ! Joutes, castilles, pas d’armes, combats à la foule, font tour à tour briller la vaillance, la force et l’adresse des combattants. Mille cris mêlés au fracas des armes montent jusqu’aux cieux. Chaque dame encourage son chevalier, et lui jette un bracelet, une boucle de cheveux, une écharpe. Un Sargine jusque alors éloigné du champ de la gloire, mais transformé en héros par l’amour, un brave inconnu qui a combattu sans armes et sans vêtements, et qu’on distingue à sa camise sanglante[2], sont proclamés vainqueurs de la joute ; ils reçoivent un baiser de leur dame, et l’on crie : " L’amour des dames, la mort des héraux[3], louenge et priz aux chevaliers. "

C’était dans ces fêtes qu’on voyait briller la vaillance ou la courtoisie de La Trémouille, de Boucicault, de Bayard, de qui les hauts faits ont rendu probables les exploits des Perceforest, des Lancelot et des Gandifer. Il en coûtait cher aux chevaliers étrangers pour oser s’attaquer aux chevaliers de France. Pendant les guerres du règne de

  1. Joinville, édit. de Capperonnier, p. 84. (N.d.A.)
  2. Sainte-Palaye, Histoire des trois chevaliers de la Chanise. (N.d.A.)
  3. Héros. (N.d.A.)