Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/488

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" Monseigneur Eustache, je vous donne ce chapelet pour le mieux combattant de la journée. Je sais que vous êtes gay et amoureux, et que volontiers vous trouverez entre dames et demoiselles : si, dites partout où vous irez que je le vous ai donné. Si, vous quitte votre prison, et vous en pouvez partir demain s’il vous plaist[1]. "

Jeanne d’Arc ranima l’esprit de la chevalerie en France ; on prétend que son bras était armé de la fameuse joyeuse de Charlemagne, qu’elle avait retrouvée dans l’église Sainte-Catherine-de-Fierbois, en Touraine.

Si donc nous fûmes quelquefois abandonnés de la fortune, le courage ne nous manqua jamais. Henri IV à la bataille d’Ivry criait à ses gens qui pliaient : " Tournez la tête, si ce n’est pour combattre, du moins pour me voir mourir. " Nos guerriers ont toujours pu dire dans leur défaite ce mot, qui fut inspiré par le génie de la nation au dernier chevalier français à Pavie : " Tout est perdu, fors l’honneur. "

Tant de vertus et de vaillance méritaient bien d’être honorées. Si le héros recevait la mort dans les champs de la patrie, la chevalerie en deuil lui faisait d’illustres funérailles ; s’il succombait au contraire dans les entreprises lointaines, s’il ne lui restait aucun frère d’armes, aucun écuyer pour prendre soin de sa sépulture, le ciel lui envoyait pour l’ensevelir quelqu’un de ces solitaires qui habitaient alors dans les déserts, et qui

….. Su’I Libano spesso, e su’I Carmelo

In aerea magion fan dimoranza.

C’est ce qui a fourni au Tasse son épisode de Suénon : tous les jours un solitaire de la Thébaïde ou un ermite du Liban recueillait les cendres de quelque chevalier massacré par les infidèles ; le chantre de Solyme ne fait que prêter à la vérité le langage des Muses.

" Soudain de ce beau globe, ou de ce soleil de la nuit, je vis descendre un rayon qui, s’allongeant comme un trait d’or, vint toucher le corps du héros. (…)

" Le guerrier n’était point prosterné dans la poudre, mais, de même qu’autrefois tous ses désirs tendaient aux régions étoilées, son visage était tourné vers le ciel, comme le lieu de son unique espérance. Sa main droite était fermée, son bras raccourci ; il serrait le fer, dans l’attitude d’un homme qui va frapper ; son autre main, d’une manière humble et pieuse, reposait sur sa poitrine et semblait demander pardon à Dieu. (…)

" Bientôt un nouveau miracle vint attirer mes regards.

  1. Froissart. (N.d.A.)