Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/542

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" L’histoire de Sabbacon, dit l’homme célèbre que nous continuons de citer, est admirable. Le dieu de Thèbes lui apparut en songe, et lui ordonna de faire mourir tous les prêtres de l’Égypte ; il jugea que les dieux n’avaient plus pour agréable qu’il régnât, puisqu’ils lui ordonnaient des choses si contraires à leur volonté ordinaire, et il se retira en Ethiopie[1]. "

" Enfin, s’écrie J.-J. Rousseau, fuyez ceux qui, sous prétexte d’expliquer la nature, sèment dans le cœur des hommes de désolantes doctrines, et dont le scepticisme apparent est cent fois plus affirmatif et plus dogmatique que le ton décidé de leurs adversaires. Sous le hautain prétexte qu’eux seuls sont éclairés, vrais, de bonne foi, ils nous soumettent impérieusement à leurs décisions tranchantes, et prétendent nous donner pour les vrais principes des choses les inintelligibles systèmes qu’ils ont bâtis dans leur imagination. Du reste, renversant, détruisant, foulant aux pieds tout ce que les hommes respectent, ils ôtent aux affligés la dernière consolation de leur misère, aux puissants et aux riches le seul frein de leurs passions ; ils arrachent au fond des cœurs le remords du crime, l’espoir de la vertu, et se vantent encore d’être les bienfaiteurs du genre humain. Jamais disent-ils, la vérité n’est nuisible aux hommes : je le crois comme eux et c’est, à mon avis, une grande preuve que ce qu’ils enseignent n’est pas la vérité.

" Un des sophismes les plus familiers au parti philosophiste est d’opposer un peuple supposé de bons philosophes à un peuple de mauvais chrétiens : comme si un peuple de vrais philosophes était plus facile à faire qu’un peuple de vrais chrétiens. Je ne sais si, parmi les individus, l’un est plus facile à trouver que l’autre, mais je sais bien que dès qu’il est question du peuple, il en faut supposer qui abuseront de la philosophie sans religion, comme les nôtres abusent de la religion sans philosophie ; et cela me paraît changer beaucoup l’état de la question.

" D’ailleurs, il est aisé d’étaler de belles maximes dans des livres ; mais la question est de savoir si elles tiennent bien à la doctrine, si elles en découlent nécessairement ; et c’est ce qui n’a point paru jusqu’ici. Reste à savoir encore si la philosophie, à son aise et sur le trône, commanderait bien à la gloriole, à l’intérêt, à l’ambition, aux petites passions de l’homme, et si elle pratiquerait cette humanité si douce qu’elle nous vante la plume à la main.

" Par les principes, la philosophie ne peut faire aucun bien que la religion ne le fasse encore mieux ; et la religion en fait beaucoup que la philosophie ne saurait faire.

  1. Montesq., Esprit des Lois, liv. XXIV, chap. IV. (N.d.A.)