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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

des fleurs, écoutent aujourd’hui les plaintes de mes années.

Peu à peu mon intelligence fatiguée de repos, dans ma rue de Miromesnil, vit se former de lointains fantômes. Le Génie du christianisme m’inspira l’idée de faire la preuve de cet ouvrage, en mêlant des personnages chrétiens à des personnages mythologiques. Une ombre, que longtemps après j’appelai Cymodocée, se dessina vaguement dans ma tête, aucun trait n’en était arrêté. Une fois Cydomocée devinée, je m’enfermai avec elle, comme cela m’arrive toujours avec les filles de mon Imagination ; mais, avant qu’elles soient sorties de l’état de rêve et qu’elles soient arrivées des bords du Léthé par la porte d’ivoire, elles changent souvent de forme. Si je les crée par amour, je les défais par amour, et l’objet unique et chéri que je présente ensuite à la lumière est le produit de mille infidélités.

Je ne demeurai qu’un an dans la rue de Miromesnil, car la maison fut vendue. Je m’arrangeai avec madame la marquise de Coislin, qui me loua l’attique de son hôtel, place Louis XV[1].


Madame de Coislin[2] était une femme du plus grand air. Âgée de près de quatre-vingts ans, ses yeux fiers

  1. « Au printemps de l’année 1805, nous prîmes un appartement sur la place Louis XV. Cette maison appartenait à la marquise de Coislin. » (Souvenirs de Mme  de Chateaubriand.) — C’est la maison qui fait angle sur la rue Royale, en face de l’ancien Garde-Meuble de la Couronne, aujourd’hui ministère de la Marine.
  2. Marie-Anne-Louise-Adélaïde de Mailly, de la branche de Rubempré et de Nesle, était née à la Borde-au-Vicomte, près de Melun, le 17 septembre 1732. Elle avait donc 73 ans, lorsque