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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

talité ; elles n’ont aucune puissance pour créer une renommée ; quand vous cloueriez votre oreille à leur bouche vous n’entendriez rien : nul son ne sort du cœur des morts.

Une chose cependant me frappe : le petit monde dans lequel j’entre à présent était supérieur au monde qui lui a succédé en 1830 ; nous étions des géants en comparaison de la société de cirons qui s’est engendrée.

La Restauration offre du moins un point où l’on peut retrouver de l’importance : après la dignité d’un seul homme, cet homme passé, renaquit la dignité des hommes. Si le despotisme a été remplacé par la liberté, si nous entendons quelque chose à l’indépendance, si nous avons perdu l’habitude de ramper, si les droits de la nature humaine ne sont plus méconnus, c’est à la Restauration que nous en sommes redevables[1]. Aussi me jetai-je dans la mêlée pour, autant que je le pouvais, raviver l’espèce quand l’individu fut fini.

Allons, poursuivons notre tâche ! descendons en gémissant jusqu’à moi et à mes collègues. Vous m’avez vu au milieu de mes songes ; vous allez me voir dans mes réalités : si l’intérêt diminue, si je tombe, lecteur, soyez juste, faites la part de mon sujet !

  1. Dans son livre sur la Politique de la Restauration en 1822 et 1823, page 55, M. de Marcellus rapporte ces autres paroles de Chateaubriand, qui ont ici leur place naturelle : « Sous la Restauration, la liberté avait remplacé dans nos mœurs le despotisme ; la nature humaine s’était relevée. Il y avait plus d’air dans la poitrine, comme disait Madame de Staël ; la publicité de la parole avait succédé au mutisme ; les intelligences et l’esprit littéraire renaissaient ; et, bien que le Français soit né courtisan, n’importe de qui, toujours est-il qu’on rampait moins bas. »