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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Marseillaise et la Carmagnole ; un club, établi à Paris, correspondait avec d’autres clubs dans les provinces ; on annonçait la résurrection du Journal des Patriotes[1]. Mais, de ce côté-là, quelle confiance pouvaient inspirer les ressuscités de 1793 ? Ne savait-on pas comment ils expliquaient la liberté, l’égalité, les droits de l’homme ? Étaient-ils plus moraux, plus sages, plus sincères

  1. Le Journal des Patriotes de 1789, fondé par Réal et Méhée de la Touche, avait paru du 18 août 1795 au 16 août 1796. Il ressuscita pendant les Cent-Jours, du 1er mai au 3 juillet 1815, sous ce titre : Le Patriote de 1789, journal du soir, politique et littéraire. Réal, alors préfet de police, en était l’inspirateur, et Méhée de la Touche le rédacteur principal. Ce Méhée, une des plus rares figures de coquins de la période révolutionnaire et impériale, avait été, en 1792, secrétaire greffier adjoint de la Commune dite du 10 août, et il avait, en cette qualité, joué un rôle dans la préparation des massacres de septembre. Le 17 septembre, la section du Panthéon délibérait sur le genre de gouvernement que l’on devait demander à la Convention ; il envoya son vœu dans un billet ainsi conçu : « Si jamais ce que l’on appelait un roi, ou quelque chose qui ressemble à un roi, ose se présenter en France, et qu’il vous faille quelqu’un pour le poignarder, inscrivez-moi au nombre des candidats. Voilà mon nom : Méhée. » Après le 18 brumaire, il rédigea le Journal des Hommes libres, qui lui valut bientôt d’être arrêté en vertu d’un ordre des Consuls qui le qualifiait de septembriseur. Exilé d’abord à Dijon, puis à l’île d’Oléron, il s’évada sans trop de peine, ne fut pas recherché par la police, qui avait ses raisons pour fermer les yeux, et passa en Angleterre. Il se présenta au gouvernement anglais et au comte d’Artois comme l’agent d’un parti puissant qui voulait renverser Bonaparte. De retour en France, il publia un Mémoire qui dévoilait ses nouvelles infamies. Cette affaire lui valut beaucoup d’argent anglais et français, et il se fixa à Paris, où il étala une sorte de faste, jusqu’au jour où il retomba dans sa détresse ordinaire. Au mois de juillet 1815, il lui fallut quitter la France et se réfugier en Suisse. Après avoir habité successivement l’Allemagne et la Belgique, il put rentrer en 1819, publia quelques brochures discréditées d’avance par son nom et mourut dans la misère en 1826, à l’âge de soixante-six ans.