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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

contenu, de résigné et de noble, de familier et d’élevé ; elles servent de contre-poids à ce que j’ai dit de trop sévère peut-être sur les races souveraines. Mille ans en arrière, et la princesse Frédérique étant fille de Charlemagne eût emporté la nuit Éginhard sur ses épaules, afin qu’il ne laissât sur la neige aucune trace.


Je viens de relire ce livre en 1840 : je ne puis m’empêcher d’être frappé de ce continuel roman de ma vie. Que de destinées manquées ! Si j’étais retourné en Angleterre avec le petit Georges, l’héritier possible de cette couronne, j’aurais vu s’évanouir le nouveau songe qui aurait pu me faire changer de patrie, de même que si je n’eusse pas été marié je serais resté une première fois dans la patrie de Shakespeare et de Milton. Le jeune duc de Cumberland, qui a perdu la vue, n’a point épousé sa cousine la reine d’Angleterre. La duchesse de Cumberland est devenue reine de Hanovre : où est-elle ? est-elle heureuse ? où suis-je ? Grâce à Dieu, dans quelques jours, je n’aurai plus à promener mes regards sur ma vie passée, ni à me faire ces questions. Mais il m’est impossible de ne pas prier le ciel de répandre ses faveurs sur les dernières années de la princesse Frédérique[1].

Je n’avais été envoyé à Berlin qu’avec le rameau de la paix, et parce que ma présence jetait le trouble dans l’administration ; mais, connaissant les inconstances de la fortune et sentant que mon rôle politique n’était pas fini, je surveillais les événements : je ne voulais pas abandonner mes amis. Je m’aperçus bientôt que la réconciliation entre le parti royaliste et

  1. La reine de Hanovre mourut au mois de juillet 1841.