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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

domination des Russes et des Autrichiens en Italie peut soulever notre orgueil militaire ; mais nous avons un moyen facile de le contenter, c’est d’occuper nous-mêmes la Savoie. Les royalistes seront charmés et les libéraux ne pourraient qu’applaudir en nous voyant prendre une attitude digne de notre force. Nous aurions à la fois le bonheur d’écraser une révolution démagogique et l’honneur de rétablir la prépondérance de nos armes. Ce serait mal connaître l’esprit français que de craindre de rassembler vingt-cinq mille hommes pour marcher en pays étranger, et pour tenir rang avec les Russes et les Autrichiens, comme puissance militaire. Je répondrais de l’événement sur ma tête. Nous avons pu rester neutres dans l’affaire de Naples : pouvons-nous l’être pour notre sûreté et pour notre gloire dans les troubles du Piémont ? »

Ici se découvre tout mon système : j’étais Français ; j’avais une politique assurée bien avant la guerre d’Espagne, et j’entrevoyais la responsabilité que mes succès mêmes, si j’en obtenais, feraient peser sur ma tête.

Tout ce que je rappelle ici ne peut sans doute intéresser personne ; mais tel est l’inconvénient des Mémoires : lorsqu’ils n’ont point de faits historiques à raconter, ils ne vous entretiennent que de la personne de l’auteur et vous en assomment. Laissons là ces ombres oubliées ! J’aime mieux rappeler que Mirabeau inconnu remplissait à Berlin en 1786 une mission ignorée[1], et qu’il fut obligé de dresser un pigeon

  1. Il donnait des conseils hardis qu’on n’écoutait pas à Versailles. Ch.