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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

préparais à partir : Voltaire, dans une lettre à sa nièce, dit qu’il voit couler la Sprée, que la Sprée se jette dans l’Elbe, l’Elbe dans la mer, et que la mer reçoit la Seine ; il descendait ainsi vers Paris. Avant de quitter Berlin, j’allai faire une dernière visite à Charlottenbourg : ce n’était ni Windsor, ni Aranjuez, ni Caserte, ni Fontainebleau : la villa appuyée sur un hameau, est environnée d’un parc anglais de peu d’étendue et d’où l’on découvre au dehors des friches. La reine de Prusse jouit ici d’une paix que la mémoire de Bonaparte ne pourra plus troubler. Quel bruit le conquérant fit jadis dans cet asile du silence, quand il y surgit avec ses fanfares et ses légions ensanglantées à Iéna ! C’est de Berlin, après avoir effacé de la carte le royaume de Frédéric le Grand, qu’il dénonça le blocus continental et prépara dans son esprit la campagne de Moscou ; ses paroles avaient déjà porté la mort au cœur d’une princesse accomplie : elle dort maintenant à Charlottenbourg, dans un caveau monumental ; une statue, beau portrait de marbre, la représente. Je fis sur le tombeau des vers que me denamdait la duchesse de Cumberland :


LE VOYAGEUR.
Sous les hauts pins qui protègent ces sources,
Gardien, dis-moi quel est ce monument nouveau ?

LE GARDIEN.
Un jour il deviendra le terme de tes courses :
Ô voyageur ! c’est un tombeau.

LE VOYAGEUR.
Qui repose en ces lieux ?