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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

avec un de ces royalistes que, depuis sept ans, on lui représentait comme des fous ou des imbéciles.

« J’ai l’honneur, etc. »

À ces affaires générales étaient mêlées, comme dans toutes les ambassades, des transactions particulières. J’eus à m’occuper des requêtes de M. le duc de Fitz-James[1], du procès du navire l’Éliza-Ann, des déprédations des pêcheurs de Jersey sur les bancs d’huîtres de Granville, etc., etc. Je regrettais d’être obligé de consacrer une petite case de ma cervelle aux dossiers des réclamants. Quand on fouille dans sa mémoire, il est dur de rencontrer MM. Usquin, Coppinger,

  1. Édouard, duc de Fitz-James (1776-1838) appartenait à une famille de vieille noblesse qui descendait des Stuarts. Petit-fils du maréchal de France duc de Berwick, il émigra en Italie avec les siens dès le début de la Révolution, servit dans l’armée de Condé en qualité d’aide-de-camp du duc de Castries, rentra en France en 1801 et vécut dans la retraite jusqu’à la fin du régime impérial. Nommé pair de France le 4 juin 1814, il donna sa démission, lorsque fut votée la loi qui supprimait l’hérédité de la pairie (28 décembre 1831). De 1835 à sa mort, il fit partie de la Chambre des députés, siégea sur les bancs de la droite et se fit remarquer par son éloquence, à côté même de Berryer. « M. le duc de Fitz-James, dit Cormenin (Livre des orateurs, t. I, p. 130), a été le dernier des chevaliers-orateurs. Sa stature était haute et sa physionomie mobile et spirituelle. Il avait, à la tribune, les airs, le sans-gêne, le déboutonné d’un grand seigneur qui parle devant des bourgeois… Son discours était tissu de mots fins, et quelquefois il était hardi et coloré… C’était une nature forte et heureusement organisée, à laquelle il n’a manqué, autrefois que l’occasion, et depuis que la jeunesse. Du reste, grand dans ses sentiments comme dans son langage : plein de cet honneur qui est la vie même du gentilhomme, et de ce désintéressement qui préférait la pauvreté à une bassesse ; religieux, mais sans hypocrisie ; fier de son origine, mais préoccupé des droits et des besoins de la génération nouvelle : jaloux de la dignité de son pays et portant haut son cœur français. »