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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Mais en 1814, je n’étais pour madame Récamier qu’un cicerone vulgaire, appartenant à tous les voyageurs ; plus heureux en 1823, j’avais cessé de lui être étranger, et nous pouvions causer ensemble des ruines romaines.

À Naples, où madame Récamier se rendit en automne[1], cessèrent les occupations de la solitude. À peine fut-elle descendue à l’auberge, que les ministres du roi Joachim accoururent. Murat, oubliant la main qui changea sa cravache en sceptre, était prêt à se joindre à la coalition. Bonaparte avait planté son épée au milieu de l’Europe, comme les Gaulois plantaient leur glaive au milieu du mallus[2] : autour de l’épée de Napoléon s’étaient rangés en cercle des royaumes qu’il distribuait à sa famille. Caroline avait reçu celui de Naples. Madame Murat n’était pas un camée antique aussi élégant que la princesse Borghèse ; mais elle avait plus de physionomie et plus d’esprit que sa sœur. À la fermeté de son caractère on reconnaissait le sang de Napoléon. Si le diadème n’eût pas été pour elle l’ornement de la tête d’une femme,

    cœur, et qu’il avait tracée vingt-cinq ans auparavant : « Je ne pourrais pas écrire ainsi aujourd’hui, me dit-il ; il faut pour cela être jeune et malheureux. » M. de Marcellus, Chateaubriand et son temps, p. 321.

  1. Mme Récamier se rendit à Naples dans les premiers jours de décembre 1813.
  2. C’est un souvenir de l’épisode de Velléda, où se trouve cette phrase : « On planta une épée nue pour indiquer le centre du Mallus ou du conseil. » — Et l’auteur ajoutait, dans une note : « J’ai suivi quelques auteurs qui pensent que les Gaulois avaient, ainsi que les Goths, l’usage de planter une épée nue au milieu de leur conseil. (Ammien Marcellin, lib. xxxii, cap. ii, p. 622.) Du mot mallus est venu notre mot mail ; et le mail est encore aujourd’hui un lieu bordé d’arbres. »