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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

ma vie se retire. J’écarte mes vieux jours pour découvrir derrière ces jours des apparitions célestes, pour entendre du bas de l’abîme les harmonies d’une région plus heureuse.

Madame de Staël mourut[1]. Le dernier billet qu’elle écrivit à madame de Duras était tracé en grandes lettres dérangées comme celles d’un enfant. Un mot affectueux s’y trouvait pour Francis. Le talent qui expire saisit davantage que l’individu qui meurt : c’est une désolation générale dont la société est frappée ; chacun au même moment fait la même perte.

Avec madame de Staël s’abattit une partie considérable du temps où j’avais vécu : telles de ces brèches, qu’une intelligence supérieure en tombant forme dans un siècle, ne se referment jamais. Sa mort fit sur moi une impression particulière, à laquelle se mêlait une sorte d’étonnement mystérieux : c’était chez cette femme illustre que j’avais connu madame Récamier, et, après de longs jours de séparation, madame de Staël réunissait deux personnes voyageuses devenues presque étrangères l’une à l’autre : elle leur laissait à un repas funèbre son souvenir et l’exemple de son attachement immortel.

J’allai voir madame Récamier rue Basse-du-Rempart, et ensuite rue d’Anjou. Quand on s’est rejoint à sa destinée, on croit ne l’avoir jamais quittée : la vie, selon l’opinion de Pythagore, n’est qu’une réminiscence. Qui, dans le cours de ses jours, ne se remémore quelques petites circonstances indifférentes à tous, hors à celui qui se les rappelle ? À la

  1. Le 14 juillet 1817.