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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

tracasseries ; il désirait son repos aux dépens même de ses affections.

M. de Talleyrand au milieu de ses flatteurs était plus monté que jamais. Je lui représentai qu’en un moment aussi critique il ne pouvait songer à s’éloigner. Pozzo le prêcha dans ce sens : bien qu’il n’eût pas la moindre inclination pour lui, il aimait dans ce moment à le voir aux affaires comme une ancienne connaissance ; de plus il le supposait en faveur près du czar. Je ne gagnai rien sur l’esprit de M. de Talleyrand, les habitués du prince me combattaient ; M. Mounier même pensait que M. de Talleyrand devait se retirer. L’abbé Louis, qui mordait tout le monde, me dit en secouant trois fois sa mâchoire : « Si j’étais le prince, je ne resterais pas un quart d’heure à Mons. » Je lui répondis : « Monsieur l’abbé, vous et moi nous pouvons nous en aller où nous voulons, personne ne s’en apercevra ; il n’en est pas de même de M. de Talleyrand. » J’insistai encore et je dis au prince : « Savez-vous que le roi continue son voyage ? » M. de Talleyrand parut surpris, puis il me dit superbement, comme le Balafré à ceux qui le voulaient mettre en garde contre les desseins de Henri III : « Il n’osera ! »

Je revins chez le roi où je trouvai M. de Blacas. Je dis à Sa Majesté, pour excuser son ministre, qu’il était malade, mais qu’il aurait très certainement l’honneur de faire sa cour au roi le lendemain. « Comme il voudra, répliqua Louis XVIII : je pars à trois heures ; » et puis il ajouta affectueusement ces paroles : « Je vais me séparer de M. de Blacas ; la place sera vide, monsieur de Chateaubriand. »