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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

amendé par les mœurs : c’est le tempérament et le train de la France. Les intérêts matériels dominaient ; on ne voulait point renoncer à ce qu’on avait, dit-on, fait pendant la Révolution ; chacun était chargé de sa propre vie et prétendait en onérer le voisin : le mal, assurait-on, était devenu un élément public, lequel devait désormais se combiner avec les gouvernements, et entrer comme principe vital dans la société.

Ma lubie, relative à une Charte mise en mouvement par l’action religieuse et morale, a été la cause du mauvais vouloir que certains partis m’ont porté : pour les royalistes, j’aimais trop la liberté ; pour les révolutionnaires, je méprisais trop les crimes. Si je ne m’étais trouvé là, à mon grand détriment, pour me faire maître d’école de constitutionnalité, dès les premiers jours les ultras et les jacobins auraient mis la Charte dans la poche de leur frac à fleurs de lis, ou de leur carmagnole à la Cassius.

M. de Talleyrand n’aimait pas M. Fouché ; M. Fouché détestait et, ce qu’il y a de plus étrange, méprisait M. de Talleyrand : il était difficile d’arriver à ce succès. M. de Talleyrand, qui d’abord eût été content de n’être pas accouplé à M. Fouché, sentant que celui-ci était inévitable, donna les mains au projet ; il ne s’aperçut pas qu’avec la Charte (lui surtout uni au mitrailleur de Lyon) il n’était guère plus possible que Fouché.

Promptement se vérifia ce que j’avais annoncé : on n’eut pas le profit de l’admission du duc d’Otrante, on n’en eut que l’opprobre ; l’ombre des Chambres approchant suffit pour faire disparaître des ministres trop exposés à la franchise de la tribune.