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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

inutile don de la divinité. Les arts et la beauté de la nature ne venant pas tromper vos heures, il ne vous reste qu’à vous plonger dans une grossière débauche ou dans ces vérités spéculatives dont se contentent les Allemands. Pour un Français, du moins pour moi, cette façon d’être est impossible ; sans dignité, je ne comprends pas la vie, difficile même à comprendre avec toutes les séductions de la liberté, de la gloire et de la jeunesse.

Cependant une chose me charme chez le peuple allemand, le sentiment religieux. Si je n’étais pas trop fatigué, je quitterais l’auberge de Nittenau où je crayonne ce journal ; j’irais à la prière du soir avec ces hommes, ces femmes, ces enfants qu’appelle à l’église le son d’une cloche. Cette foule, me voyant à genoux au milieu d’elle, m’accueillerait en vertu de l’union d’une commune foi. Quand viendra le jour où des philosophes dans leur temple béniront un philosophe arrivé par la poste, offriront avec cet étranger une prière semblable à un Dieu sur lequel tous les philosophes sont en désaccord ? Le chapelet du curé est plus sûr : je m’y tiens.

21 mai.

Waldmünchen, où j’arrive le mardi matin 21 mai, est le dernier village de Bavière, de ce côté de la Bohême. Je me félicitais d’être à même de remplir promptement ma mission ; je n’étais plus qu’à cinquante lieues de Prague. Je me plonge dans l’eau glacée, je fais ma toilette à une fontaine, comme un ambassadeur qui se prépare à une entrée triomphale ; je pars et, à une demi-lieue de Waldmünchen, j’aborde