Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/559

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
543
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE
narchies, les attachements d’un roi, fût-il Louis XIV, sont-ils des événements ? Sur l’échelle énorme des révolutions modernes, que peut-on mesurer qui ne se contracte en un point imperceptible ? Les générations nouvelles s’embarrassent-elles des intrigues de Versailles, qui n’est plus qu’une crypte ? Que fait à la société transformée la fin des inimitiés du sang de quelques femmes, jadis destinées, sous des berceaux ou dans des palais, à la couche de duvet ou de fleurs ?
Cependant, autour des intérêts généraux de l’histoire, ne serait-il pas des curiosités historiques ? Si quelque Aulu-Gelle, quelque Macrobe, quelque Strobée, quelque Suidas, quelque Athénée du ve ou vie siècle, après m’avoir peint le sac de Rome par Alaric, m’apprenait, par hasard, ce que devint Bérénice quand Titus l’eut renvoyée ; s’il me montrait Antiochus rentré dans cette Césarée, lieux charmants où son cœur… avait adoré celle qui en aimait une autre ; s’il me menait dans un château du Liban, habité par une descendante de la reine de Palestine, en dépit de la destruction de la ville éternelle et de l’invasion des Barbares, il me plairait encore de rencontrer dans l’Orient désert le souvenir de Bérénice.


IV

MADAME TASTU ET LES MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE[1]

Madame A. Tastu, en 1834, avait assisté aux lectures des Mémoires, et elle en a rendu compte à sa manière dans ces Stances pleines de grâce et d’harmonie :

Oui, si dans mes beaux jours, comme aujourd’hui, poète,
Vous m’étiez apparu ; mains jointes devant vous,
Vous alors, à mes yeux, ange, saint ou prophète,
   J’aurais courbé la tête
   Et fléchi les genoux.

Hélas ! à chaque pas nous sentons sur la route
De ses jeunes respects le cœur se délier ;
L’oreille est moins flexible à la voix qu’elle écoute,
   Et le genou sans doute
   Moins facile à plier.

  1. Ci-dessus, page 402.