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LIVRE DEUXIÈME

je puisse avoir à vous donner l’histoire de ma vie, néanmoins, comme vous me l’avez demandée, je vous obéis. »

N’ayant plus où se prendre, il s’était fait le familier de Dieu, comme en sa jeunesse il avait serré la main des quarteniers de Paris. Il passait ses jours aux églises ; on prêtait l’oreille pour ouïr son cri du fond de l’abîme, pour pleurer aux Psaumes de la pénitence ou aux versets du Miserere, et l’on écoutait en vain. Les sépulcres, les images du Christ ne l’enseignaient pas : uniquement épris de sa personne, il ne se rappelait que le rôle qu’il avait joué, sans s’embarrasser de sa vie morale. Il inspectait les lambeaux de ce qu’il fut pour se reconnaître ; il éventait ses iniquités, afin de se former une idée semblable de lui-même ; puis il venait écrire les scandales de ses souvenirs. En l’exhumant de ses Mémoires on a trouvé un mort enterré vivant qui s’était dévoré dans son cercueil.

Joueur jusqu’à la fin, ne lui vint-il pas dans l’esprit de se retirer à la Trappe et d’écrire ses Mémoires sur la table où Rancé écrivait ses Maximes ? Rancé fut obligé d’aller à Commercy pour détourner le cardinal de son pieux dessein. Bossuet s’était malheureusement écrié : « Le coad-