Page:Chateaubriand - Vie de Rancé, 2è édition, 1844.djvu/164

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
148
VIE DE RANCÉ

mois sans apercevoir son frère, quoiqu’il lui tombât cent fois sous les yeux. La duchesse de Guise étant venue au couvent, un solitaire s’accusa d’avoir été tenté de regarder l’évêque qui était sous lampe. Rancé savait seul qu’il y eût une terre[1].

Ces grands effets ne se bornèrent pas à l’intérieur du couvent ; ils s’étendirent partout. Dans la suite, quand la Trappe fut détruite, on en vit mille autres renaître, comme des plantes dont la semence a été soudée au haut des ruines. J’ai cité dans les notes du Génie du Christianisme les lettres de M. Clausel, qui, de soldat de l’armée de Condé était venu s’enfermer en Espagne à la Trappe de Sainte-Suzanne. Il écrivait à son frère : « J’arrivai un jour dans une campagne déserte à une porte, seul reste d’une grande ville. Il y avait eu sûrement dans cette ville des partis, et voilà que depuis des siècles leurs cendres s’élèvent confondues dans un même tourbillon. J’ai vu aussi Murviedo, où était bâtie Sagonte, et je n’ai plus songé qu’à l’éternité. Qu’est-ce que cela me fera dans vingt ou trente ans qu’on m’ait dépouillé de ma fortune ? Ah, mon frère ! puissions-nous avoir le bonheur d’entrer au

  1. Le Nain, tom. 1er, liv. VII, p. 600 et suiv.