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LIVRE QUATRIÈME

œuvres de Rancé, le souffle du printemps manque aux fleurs ; mais en revanche quelles soirées d’automne ! qu’ils sont beaux ces bruits des derniers jours de l’année !

Rancé a beaucoup écrit ; ce qui domine chez lui est une haine passionnée de la vie ; ce qu’il y a d’inexplicable, ce qui serait horrible si ce n’était admirable, c’est la barrière infranchissable qu’il a placée entre lui et ses lecteurs. Jamais un aveu, jamais il ne parle de ce qu’il a fait, de ses erreurs, de son repentir. Il arrive devant le public sans daigner lui apprendre ce qu’il est ; la créature ne vaut pas la peine qu’on s’explique devant elle : il renferme en lui-même son histoire, qui lui retombe sur le cœur. Il enseigne aux hommes une brutalité de conduite à garder envers les hommes ; nulle pitié de leurs maux. Ne vous plaignez pas, vous êtes faits pour les croix, vous y êtes attachés, vous n’en descendrez pas ; allez à la mort, tâchez seulement que votre patience vous fasse trouver quelque grâce aux yeux de l’Éternel. Rien de plus désespérant que cette doctrine, mélange de stoïcisme et de fatalité, qui n’est attendrie que par quelques accents de miséricorde qui s’échappent de la religion chrétienne. On sent comment Rancé vit mourir