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VIE DE RANCÉ

avoue que j’ai été tout à la fois surpris de vous voir dans les dispositions et les pensées auxquelles je ne me serais point du tout attendu ; car enfin qu’est-ce que Dieu pourrait faire davantage pour vous assurer contre la crainte de la mort, que de vous appeler dans un état qui doit vous donner de l’éloignement et du mépris pour la vie ? »

Fait pour le monde, l’abbé s’en séparait par la pénitence ; mais au milieu de toutes ces douleurs de femme, il ne s’apercevait pas qu’en voulant faire retourner l’humanité aux rigueurs de l’Orient, il se trompait de siècle et de climat. Il n’avait pas de corbeaux pour nourrir ses anachorètes, de palmiers pour couronner leur tête, de lions pour creuser la fosse des Thaïs. Sa morale tombait dans ces méprises de notre poésie, qui ne parle que de la cruauté des tigres dans des forêts où nous n’apercevons que des chevreuils.

Rancé retourna à la Trappe par un orage ; les tonnerres accompagnaient majestueusement les faibles pas d’un vieillard. Les beaux temps du christianisme étaient finis : on croit entendre se refermer les portes d’un temple abandonné.

L’abbesse d’une abbaye de Paris ayant lu l’ouvrage De la Sainteté et des devoirs de la vie monastique, ne voulut plus consentir qu’on intro-