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VIE DE RANCÉ

torze ans sur la terre, dont il avait vécu trente-sept dans la solitude, pour expier les trente-sept qu’il avait passés dans le monde.

Lorsqu’il disparut, une foule d’hommes fameux avaient déjà pris les devants, Pascal, Corneille, Molière, Racine, La Fontaine, Turenne et Condé : le vainqueur de Rocroi avait reçu de Bossuet sa dernière couronne. Bossuet, dont je vous ai déjà dit la mort, penchait vers sa ruine, qu’il avait annoncée avec une simplicité si magnifique. Ce siècle est devenu immobile comme tous les grands siècles ; il s’est fait le contemporain des âges qui l’ont suivi. On ne voit pas tomber quelques pierres de l’édifice sans un sentiment de douleur. Quand Louis XIV descend le dernier au cercueil, on est atteint d’un inconsolable regret. Parmi les débris du passé se remuaient les premiers nés de l’avenir : quelques renommées commençaient à poindre sous la protection d’un roi décrépit encore debout. Voltaire naissait ; cette désastreuse mémoire avait pris naissance dans un temps qui ne devait point passer : la clarté sinistre s’était allumée au rayon d’un jour immortel.

L’ouvrage de Rancé subsiste. Rancé s’est éloigné de sa solitude comme Lycurgue de la vallée