Page:Chatelain - Beautés de la poésie anglaise, tome 1, 1860.djvu/34

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Et la n’existait plus traces d’une cité,
Mais une immense plaine—un beau lac argenté ;
Dans la plaine le blé rangé comme une armée,
Au vallon le berger chantant sa bien aimée.
« Comment, » dit soudain l’Ombre, « et temples et remparts
Peuvent-ils se dissoudre ainsi qu’épais brouillards ? »
Mais alors dégageant ses cheveux de sa tête,
En ces mots le berger répondit à l’enquête :
« Le monde est tout rempli de brebis et de blé,
Ainsi c’était jadis sous le ciel constellé,
Ainsi c’est maintenant, ainsi sera sans cesse,
Tant qu’à leur tour, en vérité,
Viendront le jour la nuit :—car la Nature qu’est-ce ?
Une unité ! »

Et puis après mille ans passés, voilà que l’Ombre
Aux mêmes lieux descendit sombre.

Et voyez ! où trônaient ce lac et ces beaux blés,
Une mer écumait sur des sables salés,
Au midi scintillant d’une vive étincelle ;
Un pêcheur y jetait les rêts de sa nacelle ;
Que l’Ombre était surprise !… æ Où donc était le lac ?
Où les épis dorés ? »… Mais lui sur le tillac
Le pêcheur, de son front ôtant des flots l’écume :
« Autour de l’univers les eaux font un volume, »
A-t-il dit, « et la mer roule, roule toujours,
Hier comme aujourd’hui dans son vaste parcours,
Que me chantes-tu donc et d’épis et de plaines ?
Les nuits aussi bien que les jours,
L’homme cherche en la mer des poissons par centaines,
Toujours ! toujours !… »

Et puis après mille ans passés, voilà que l’Ombre
Aux mêmes lieux descendit sombre.

Et les rouges rayons d’un couchant de soleil
D’une vaste forêt doraient l’éclat vermeil ;
Les arbres archi-vieux d’une archi-vieille mousse
Étaient partout vêtus à la hauteur d’un pouce ;