Page:Chatelain - Beautés de la poésie anglaise, tome 1, 1860.djvu/84

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C’était un tatillon, un monsieur Touche à tout,
Qui voulait tout savoir pour amuser son goût ;
Il se glissait partout, interrogeait chaque âge,
Se montrait très friand des cancans du ménage,
Et des bruits de la ville amant peu généreux,
Les citait à sa cour pour les divulguer mieux.
Comme Aroun Al Raschid, jaloux de tout connaître,
Il vous sortait le soir, se glissait comme un traître,
Drapé dans son manteau, partout en tapinois,
Pour flairer les « ont dit » de ses bons Berlinois,
Fréquentant par la nuit passages et ruelles,
Toujours l’oreille au guet, ayant soif de querelles,
Ravi d’être auditeur, quand vigoureux poumons
Engageait un combat à charmer les démons.

Or un soir qu’il flanait attifé de la sorte
Près de chaque fenêtre et près de chaque porte,
Il avisa soudain se faisant vis-à-vis,
Discutant, s’échauffant, un digne couple assis.
Il fut incontinent au fait de la dispute.
C’était d’Eve et d’Adam au sujet de la chute.
« Ah ça ! » disait Madame en colère à l’époux,
« Fi de la sotte femme, entre nous, vertuchoux !
Oui, fi de la mère Eve !—aller croire aux sornettes
De l’Esprit tentateur qui lui contait fleurettes,
Vois où nous a conduit sa curiosité !
À sa place, vois-tu, dame ! si j’eusse été,
Faisant fort peu de cas de tous ses beaux parlages
J’eusse dit à Satan : « Fuis démon, tu m’outrages ! »

Le royal écouteur entendant ce discours
S’en retourna chez lui riant, riant toujours.

Un jour a fui. Voilà que le diner s’approche,
Un fumet tout exquis annonce un tourne-broche,
Le couple en appétit soudain avec frayeur
Voit entrer un gendarme à l’aspect pourfendeur,