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XI
INTRODUCTION.

et de style, on y retrouve ce qu’on a laissé derrière. On y est chez soi, avec l’agrément d’être en même temps hors de chez soi ; on y apprend selon des modes familiers des choses curieuses sur un pays différent. Pas une fois on ne se butte à l’un de ces exotismes d’âme qui font trébucher l’explorateur. On n’a pas un seul de ces sursauts en présence d’un état de sensibilité différent qui empêchent avec l’entière intelligence l’entière sympathie. Nul écrivain anglais ne nous communique au même degré que Chaucer le sens de cette entente cordiale primitive. Ce n’est certes pas que nous songions à le revendiquer comme nôtre ; il nous est préférable que ses vers et ses contes aient essaimé de chez nous pour former au dehors une ruche nouvelle, riche et prolifique. Ainsi pouvons-nous dans la suite, après avoir séjourné quelque temps auprès de lui, passer mieux préparés aux autres grands poètes anglais, vrais indigènes ceux-là et parfois très étrangers à notre esprit, mais qui ont tous été à quelque degré ses élèves, et tous ont salué en lui le maître et le père.

De ce que rien dans Chaucer ne nous déconcerte, ne concluons point toutefois qu’il n’a rien à nous apprendre de neuf. Sa nouveauté relativement à nos trouvères est au contraire extrême. Il est leur disciple, mais un disciple de génie original. Il se distingue d’eux non en qualité d’étranger mais à titre d’innovateur. Il part d’eux pour tendre la main aux dramatistes de la Renaissance. Il prend sur nos écrivains du xive siècle la même avance que prenaient alors les Italiens, mais pour d’autres raisons et d’une autre manière. Ses Contes de Canterbury résument tout le Moyen Âge et portent en germe, quelquefois même déjà épanouis, les caractères principaux de l’âge moderne.

Le charme et la gaîté des récits apparaîtront assez, nous l’espérons, au lecteur de la traduction. Le tableau de mœurs dont l’attrait et l’instruction sont surtout dans les détails du poème perdrait presque toute sa couleur dans un résumé. Les sources où Chaucer a puisé sont signalées, autant qu’on les connaît, dans les notes mises à chacun des Contes. Dans ces conditions, il semble que la meilleure préparation à la lecture