Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

avait obtenu le droit de se faire suppléer dans ses fonctions. Laissant la besogne à quelque commis il venait de s’installer hors de Londres, à Greenwich, qui était alors la vraie campagne. Une vie de loisir et d’aisance s’annonçait pour lui où il pourrait verser dans une grande œuvre la riche moisson d’un homme qui avait eu l’occasion de s’initier aux pratiques de mainte profession et aux mœurs des classes les plus diverses de la société anglaise, non sans visiter entre temps les pays d’Europe les plus féconds alors en nouveautés littéraires et artistiques.

Au cours de cette existence accidentée, où ne manquaient pas non plus les expériences amoureuses, galanteries de poète et de courtisan, joies et surtout peines de mariage, Chaucer avait trouvé le temps d’amasser une curieuse érudition. Il avait pris une teinture de toutes les connaissances alors accessibles ; sans oublier l’alchimie et surtout l’astrologie. Ses lectures encyclopédiques recouvraient, avec le vaste champ déjà parcouru par un Jean de Meung, les acquisitions faites depuis près d’un siècle. Déjà considérable était aussi sa production littéraire. Des milliers de vers et de nombreuses pages de prose attestaient son activité d’écrivain. Il avait certes le droit d’être fier en songeant à ce qu’il avait accompli. Grâce à lui plus d’un des livres fameux du temps passé ou des pays du continent avait été mis en anglais et gardait dans cette langue neuve une beauté de forme qui rivalisait avec celle des originaux. L’Angleterre lui devait une traduction de la Consolation de Boëce, une version du Roman de la Rose, une adaptation du roman poétique de Boccace, Troïle et Cressida. Chaucer avait capté pour en faire offrande à ses compatriotes les œuvres alors les plus réputées de la latinité, du français et de l’italien. La variété de ses connaissances et de ses goûts l’avait conduit à traiter tour à tour de religion et de philosophie, de chevalerie et d’amour. Et il avait su en chaque circonstance adapter souplement sa forme à la diversité de sa matière. Sa poésie comprenait tout un clavier allant des virelais et des ballades courtoises aux vastes compositions en stances ou aux longues suites régulières de distiques. Il excellait également à manier l’octosyllabe léger et le vers de dix syllabes ou « héroïque ». Il pouvait se dire avec