Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/164

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qu’un chacun avait plaisir à commercer
140 avec eux comme aussi à leur vendre leurs denrées.

Or il advint que les maîtres de cette corporation
se disposèrent au voyage de Rome.
Que ce fût pour leur commerce ou leur agrément,
ils ne voulurent y envoyer nul autre messager,
mais vinrent eux-mêmes à Rome (pour faire court),
et dans tel endroit qui leur parut servir
à leur dessein, ils prirent leur logement.

Ces marchands ont demeuré dans la dite ville
un certain temps, selon leur bon plaisir.
150 Et il se fit que l’excellente renommée
de la fille de l’empereur, Dame Constance[1],
fut rapportée dans les moindres détails,
de jour en jour, à ces marchands syriens
de telle façon que je vais vous le raconter.

Voici quel était l’éloge unanime de tous :
« Notre empereur de Rome (que Dieu l’ait en sa garde !)
a une fille telle que, depuis l’origine du monde,
à compter tant sa bonté que sa beauté,
oncques n’y eut autre pareille à elle.
160 Je prie Dieu de la maintenir en honneur
et voudrais que de toute l’Europe elle fût reine.

En elle est grande beauté sans orgueil,
jeunesse sans enfantillage ni folie,
en toutes ses œuvres la vertu est son guide,
l’humilité a tué toute tyrannie en elle.
Elle est miroir de toute courtoisie ;
son cœur est véritable chambre de sainteté,
sa main dispense libéralement les aumônes. »

Et toute cette rumeur était exacte, aussi vrai que Dieu est vérité,
170 mais maintenant revenons à notre dessein :
Ces marchands ont fini de charger à nouveau leurs navires,
et après avoir vu cette bienheureuse demoiselle,

  1. Il s’agit de l’empereur Tibère Constantin mort en 582. Il régna à Constantinople, non à Rome. Chaucer commet un anachronisme en parlant de foi musulmane dans cette partie de son récit (vers 224, etc.), puisque Mahomet est né en 570.