Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/187

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Son vaisseau traversa l’étroit passage
de Jubaltar et de Septe[1], toujours à la dérive,
tantôt vers l’Ouest, tantôt au Nord et au Sud,
et tantôt à l’Est, pendant bien des mornes journées,
jusqu’à ce que la mère du Christ (bénie soit-elle à jamais !)
950résolût, dans son infinie bonté,
de mettre fin à toute sa tristesse.

Or laissons là Constance pour un moment
et parlons de l’empereur romain
qui de Syrie a par lettres appris
le massacre des chrétiens et l’outrage
fait à sa fille par vile traîtrise,
j’entends par la maudite et méchante sultane,
qui au banquet fit tuer grands et petits à la fois.

Pour ce fait, l’empereur dépêche aussitôt
960son sénateur, avec royal arroi,
et d’autres seigneurs, Dieu sait, en grand nombre,
pour tirer grande vengeance des Syriens.
Ils brûlèrent, tuèrent et les mirent à mal
pendant maintes journées, mais bref, voici la fin,
c’est qu’ils se disposèrent à rentrer à Rome.

Ce sénateur se rendait victorieux
vers Rome, faisant voile bien royalement ;
il rencontra le vaisseau à la dérive, dit l’histoire,
970où était assise Constance bien tristement.
Il ne reconnut en rien qui elle était, ni pourquoi
elle se trouvait en pareil état ; elle ne voulut rien dire
de son rang, quand elle en devrait mourir.

Il l’emmena à Rome et à sa femme
il la remit ainsi que son jeune fils,
et chez le sénateur elle passa ses jours.
Ainsi sait Notre Dame tirer de malheur
la malheureuse Constance et mainte autre.
Et longtemps elle demeura en ce lieu
980en saintes œuvres toujours, par la faveur de la Vierge.

  1. C’est-à-dire de Gibraltar et Ceuta.