Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/202

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nous obtenons crédit durant notre renom,
1480mais d’être sans argent, cela n’est plus de jeu.
Ainsi, repayez-moi à votre convenance ;
pour autant que je puis, je voudrais vous complaire. »
Ces cent francs aussitôt il s’en alla chercher ;
secrètement les remit à Dom Jean
et nul au monde ne connut rien de ce prêt,
excepté seulement le marchand et Dom Jean.
El de boire, jaser, vaguer et s’éjouir,
La ni que Dom Jean enfin s’en fut à l’abbaye.

Vient le matin, et le marchand part à cheval
1490pour la Flandre ; son apprenti fort bien le guide ;
et il arrive à Bruge heureusement.
El maintenant, il va fort affairé
à ses besoins, tant pour achat que pour créance ;
il ne joue point aux dés, ni non plus il ne danse,
mais ainsi qu’un marchand, pour tout dire en un peu,
mène son train de vie — et là le laisse faire.

Le Dimanche qui vint après qu’il fut parti,
à Saint-Denis s’en est venu Dom Jean,
ayant tête et menton tout fraîchement rasés.
1500Dans toute la maison n’était petit valet,
ni personne autre enfin, qui ne se vit tout aise
que monseigneur Dom Jean fût revenu ;
brièvement, afin d'aller au point tout droit,
la belle dame accorde avec Dom Jean
que pour ces dits cent francs, il peut toute une nuit
l’avoir entre ses bras sur le dos allongée ;
et cet accord fut en fait accompli :
en joie toute la nuit menèrent vie active
jusqu'à ce qu’il fît jour ; et Jean prit son chemin
1510et dit à la maisnie : « Adieu ! ayez bon jour ! »
car nul d’entre eux, comme non plus personne en ville,
n’a de Dom Jean aucun soupçon ;
et s’en fut chevauchant devers son abbaye,
— ou par là qu’il voulut, car n’en dirai plus rien.

Notre marchand dès que la foire fut finie,
à Saint-Denis s'est repairié.