Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/257

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contre un petit bois, en un vallon.
Cette veuve, dont vous conte mon conte,
depuis le jour où elle perdit son homme,
en patience menait très simple vie,
car maigre était son cheptel et sa rente.
Par économie, avec ce que Dieu lui avait octroyé,
elle pourvoyait à ses besoins, et aussi de ses deux filles.
4020Trois grosses truies avait-elle, pas plus,
trois vaches, et aussi une brebis qui s’appelait Mariette ;
toute noire de suie était sa chambre, et aussi sa salle,
où elle faisait maint pauvre repas.
De sauce relevée elle n’avait guère besoin.
Nul morceau délicat ne lui passait par le gosier ;
son manger était à l’avenant de sa cabane.
La réplétion ne la rendait oncques malade ;
diète tempérée était toute sa médecine,
et exercice, et cœur content.
4030La goutte ne l’empêchait mie de danser,
ni l’apoplexie ne lui rompait la tête ;
elle ne buvait point de vin, ni blanc ni rouge ;
sa table était surtout servie de blanc et de noir,
de lait et de pain bis, dont jamais ne manquait,
de lard grillé, et parfois d’un œuf ou deux,
car elle était quasiment laitière de son métier.
Elle avait une cour, enclose tout autour
de pieux et entourée d’un fossé à sec,
4040dans laquelle elle avait un coq nommé Chanteclair ;
dans tout le pays de coquelicon il n’avait son pareil.
Sa voix était plus joyeuse que les joyeuses orgues
qui, les jours de messe, ronflent dans l’église ;
bien plus ponctuel était son chant sur son perchoir
que n’est une horloge on un carillon d’abbaye.
Par nature, il savait chaque ascension
de l’équinoxial[1], en ce hameau ;
car lorsque l’ombre avait monté de quinze degrés,
il chantait, si bien à point qu’on ne saurait mieux faire.
Sa crête était plus rouge que le fin corail,
4050et crénelée, comme un mur de castel.

  1. C’est-à-dire, le progrès de l’ombre sur le cadran solaire équinoxial ; 15° marquent une heure. Il chantait donc ponctuellement toutes les heures.