Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/269

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme homme effrayé dans son cœur.
Car naturellement bête désire fuir
4470loin de son ennemi, si elle le découvre,
bien que jamais de ses yeux ne l’ait vu.
    Chanteclair, quand il l’eut aperçu,
bien aurait voulu fuir, mais le renard incontinent
lui dit : « Gentil sire, hélas ! où voulez-vous aller ?
Avez-vous peur de moi qui suis votre ami ?
Or, certes, je serais pire que diable
si vous voulais mal ou vilenie.
Je ne suis venu pour épier vos conseils ;
mais vraiment, la cause de ma venue
4480est seulement pour vous entendre chanter,
car vraiment vous avez la voix aussi jolie
qu’un ange qui est au ciel ;
avec cela vous avez en musique plus de sentiment
que n’en avait Boèce, ou quiconque sut chanter.
Messire votre père (Dieu ait son âme !)
et aussi votre mère, dans leur courtoisie,
sont venus dans ma maison, à ma grande aise ;
et certes, messire, bien voudrais-je vous plaire.
Pour ce qui est de chanter, je veux vous dire
4490(Dieu me prive de mes deux yeux, si je mens !)
que, fors vous, oncques n’ai-je oui homme chanter
comme faisait votre père, le matin ;
certes, c’était de tout son cœur qu’il chantait
et, pour rendre sa voix plus forte,
si bien se travaillait, que ses deux yeux
fermait, tant il criait haut,
et encore se dressait sur la pointe des ergots,
et tendait son cou long et mince.
Et aussi était de telle prudence,
4500qu’il n’y avait homme dans aucun pays,
qui le passât en chant ou en sagesse.
J’ai lu dans dom Brunel l’Ane[1],
entre autres vers, comment un coq,
pour ce que le fils d’un prêtre lui avait porté un coup
sur la patte, lorsqu’il était jeune et nicet,

  1. Brunellus seu Speculum Stultorum de Nigel Wireker.