Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/297

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sous un arbre et c’est là qu’il demeure ;
toutes vos bravades ne le feront pas se cacher.
Voyez-vous ce chêne ? c’est là même que vous le trouverez.
Dieu vous sauve qui a racheté le genre humain,
et vous amende ! » Ainsi parla ce vieil homme.
Et chacun de ces débauchés s’en courut,
jusqu’à ce qu’il arriva à cet arbre et y trouva
770en beaux florins d’or bien frappés
tout près de huit boisseaux à ce qu’il leur parut ;
alors plus ne se mirent en quête de Mort,
mais chacun d’eux fut si joyeux à cette vue,
car les florins étaient si beaux et si brillants,
qu’ils s’assirent auprès de ce précieux trésor.
Le pire des trois dit le premier mot :
« Mes frères, (dit-il,) prenez garde à ce que je dis ;
j’ai grand esprit bien que je plaisante et rie.
Ce trésor, la fortune nous l’a donné
780pour qu’en joie et liesse nous vivions notre vie,
et puisqu’il nous vint aisément le dépenserons de même.
Oh ! par la précieuse dignité de Dieu ! qui aurait pensé
aujourd’hui que nous aurions si bel heur ?
Si seulement cet or pouvait s’emporter de ce lieu
chez moi dans ma maison ou encore dans la vôtre
(car vous savez bien que c’est à nous qu’est tout cet or)
nous aurions alors grande félicité
Mais vraiment de jour on ne peut :
les gens diraient que nous sommes de fieffés voleurs,
790et pour ce trésor bien à nous ils nous pendraient.
Il faut emporter ce trésor de nuit
aussi habilement et secrètement qu’il se pourra.
Je conseille donc qu’on tire à la courte paille
entre nous trois et qu’on voie à qui écherra la paille ;
et qui l’aura, d’un cœur joyeux
courra à la ville et cela au plus tôt,
et nous apportera du vin et du pain en grand secret ;
et deux de nous garderont bien adroitement
ce trésor, et, si l’autre ne s’attarde pas,
800quand il fera nuit nous transporterons ce trésor
d’un commun accord là où nous le jugerons le meilleur. »
Un d’eux prit les pailles dans son poing