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Groupe D


Conte de la Femme de Bath


Le Prologue du Conte de la Femme de Bath[1].


« Expérience, alors que nulle autorité
n’existerait au monde, suffirait bien pour que
je parle, moi, des maux qui sont en mariage.
Car, messeigneurs, depuis qu’ont sonné mes douze ans,
5grâces à Dieu de qui la vie est éternelle,
j’ai pris mari cinq fois, au porche de l’église.
Oui, messeigneurs, oui-dà, j’ai eu mes cinq maris.
Et, chacun en son rang, tous furent gens de bien.
Mais je me laissai dire, il n’y a pas longtemps,
10que puisque Christ alla une fois seulement
aux noces à Cana, ville de Galilée,
par cet exemple même il m’avait enseigné
que je ne me devais marier qu’une fois.
Écoutez donc aussi quelle verte parole
15au bord d’un puits Jésus, l’Homme-Dieu, prononça,
en réprobation de la Samaritaine :
« Tu as eu cinq maris, (dit-il à cette femme)[2],
et cet homme-là qui te possède aujourd’hui,
il n’est point ton mari ! » Ainsi dit-il sans faute.
20Ce qu’il a voulu dire par là, je ne le sais,
mais je voudrais savoir pourquoi le cinquième homme
ne fut point un mari pour la Samaritaine.
Combien en mariage pouvait-elle avoir d’hommes ?
Je n’ai encor jamais de ma vie entendu
25déterminer ce nombre.
On peut épiloguer et gloser haut et bas,
mais ce que sans mentir je sais expressément,

  1. Les principales sources du Prologue sont l’Épitre de saint Jérôme contre Jovinien et le Roman de la Rose.
  2. Saint Jean, IV, 18.