Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/316

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que femme, c’est à vous qu’il sied d’être endurant.
Qui tous prend de grogner ainsi et de gémir ?
Vous voudriez avoir mon bas à vous tout seul ?
445Mais prenez le tout, là ! ayez-le tout entier.
Par Saint Pierre ! du diable ai vous ne l’aimez fort !
Eh ! si je voulais bien vendre ma belle chose[1],
je me pourrais montrer aussi fraîche que rose[2].
Mais on la gardera, sire, pour votre bec.
450Vous êtes à blâmer, pardieu, je vous dis vrai. »
    Tels étaient les propos qu’ensemble nous tenions.
Or de mon quart mari je vous veux deviser.
    Mon quart mari était coureur de guilledou,
ce qui revient à dire qu’il avait sa ribaude.
455Et j’étais jeune alors, pleine de fringuerie,
volontaire et gaillarde, et gaie autant que pie[3].
Bien savais-je danser à la petite harpe
et chanter, oui vraiment, ainsi que rossignol,
tout dès que j’avais bu un coup de vin sucré.
460Métellius[4], le vilain, le rustre, le pourceau,
qui à coups de bâton fit trépasser sa femme
pour avoir bu du vin, eusse-je été la sienne,
pour peur il ne m’eût pas fait renoncer à boire,
et je pense, après boire, aux plaisirs de Vénus.
465Car, aussi sûrement que froid engendre grêle,
qui dit friand au piot dit friand au déduit.
Chez femme qui a bu il n’est plus de défense[5] :
c’est ce que tout paillard sait par expérience.
    Mais, Seigneur Jésus-Christ, lorsque je me rappelle[6]
470le temps de ma jeunesse et ma joliveté[7],
je me sens chatouillée aux racines du cœur.
Aujourd’hui même encore mon cœur se rébaudit
de ce que, dans mon temps, j’ai joui de la vie.
Mais l’âge, hélas, qui vient pour empoisonner tout
475m’a désormais ôté et beauté et vigueur.

  1. En français dans le texte.
  2. Cf. Rom. de la Rose, 14327, elz.
  3. Rom. de la Rose, 9511, elz.
  4. Valère Maxime, lib. VI, cap. 3.
  5. Rom. de la Rose, 14030, elz.
  6. Rom. de la Rose, 13520, elz.
  7. Rom. de la Rose, 13330, elz. : mon tens jolis.