Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/328

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c’était l’ancienne croyance, à ce que je lis ;
je parle d’il y a bien des centaines d’années ;
mais aujourd’hui on ne peut plus voir d’Elfes du tout.
Car maintenant la grande charité et les prières
des limitours[1] et d’autres saints frères,
qui visitent toutes les terres et toutes les eaux,
et foisonnent comme poussières dans le rai du soleil,
bénissant salles, chambres, cuisines, chambres des dames,
870villes, bourgs, castels, hautes tours,
villages, granges, étables, laiteries,
ceci fait qu’il n’y a point de fées.
Car là où avait coutume d’aller un elfe,
là va maintenant le limitour lui-même
dans les après-midi et dans les matinées,
et il dit ses matines et ses saintes oraisons
tout en cheminant dans son territoire.
Les femmes peuvent aller en sécurité par toute la contrée ;
sous tous les halliers ou sous tous les arbres
880il n’y a pas d’autre incube que lui,
et il ne leur fera rien que déshonneur[2].

    Or donc il advint que ce roi Arthur
avait en sa maison un gaillard bachelier
qui un jour revenait à cheval de voler en rivière[3] ;
et il arriva que, seule et sans nulle compagnie[4]
il vit une fille marchant devant lui,
à laquelle fille, aussitôt, malgré sa résistance,
de force il ravit sa virginité ;
et pour cette violence fut faite telle clameur
890et telle plainte auprès du roi Arthur,
que ce chevalier fut condamné à mourir
suivant la loi, et eût perdu sa tête,
par aventure, telle était la règle alors,

  1. Frères mendiants auxquels était assigné un certain territoire pour leurs quêtes.
  2. Une variante du texte donne cet autre sens : « Et ce n’est pas avec lui qu’il leur adviendrait déshonneur. »
  3. C’est-à-dire d’aller chasser au faucon sur le bord de la rivière. — Cf. le conte de Sire Topaze, vers 1927. — Cr. Froissart, V. 1, c. 140. Le comte de Flandre estoit tousjours en rivière, un jour advint qu’il alla voler en la rivière.
  4. Le texte dit : « seule comme au jour de naissance. » Voir la note : Conte du Chevalier, vers 1633.