Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/359

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

1940des frères actifs si charitables et chastes
prennent leur essor vers les deux oreilles de Dieu.
Thomas ! Thomas ! je veux perdre bras et jambes,
et j’atteste le seigneur qui s’appelle Saint Yves,
si tu n’étais pas notre frère, rien n’irait bien pour toi !
Dans notre chapitre nous prions nuit et jour
le Christ de t’envoyer santé et force,
afin que tu puisses vite reprendre l’usage de ton corps. »
    « Dieu sait, (répliqua l’autre), que je n’en ressens rien ;
le Christ m’ôte son aide, si, en quelques années,
1950je n’ai point dépensé, près de diverses espèces de frères,
mainte et mainte livre ! pourtant je ne m’en porte pas mieux.
Vraiment j’y ai employé presque tout mon bien.
Adieu, mon or ! car il est tout parti ! »
Le frère repartit : « O Thomas ! est-ce possible ?
qu’avez-vous besoin de chercher diverses confréries ?
Quel besoin a celui qui possède un médecin parfait
de chercher d’autres médecins dans la ville ?
Votre inconstance fait votre ruine.
Nous tenez-vous donc, moi ou notre couvent,
1960insuffisants pour prier pour vous ?
Thomas, cette plaisanterie-là ne vaut pas un liard ;
votre maladie vient de ce que nous avons trop peu.
« Ah ! donnez à ce couvent-ci un demi-quart d’avoine 1 »
« Ah ! donnez à ce couvent-là vingt-quatre deniers. »
« Ah ! donnez à ce frère un gros sou et qu’il s’en aille ! »
Non, non, Thomas ! les choses ne peuvent se passer ainsi.
Qu’est-ce qu’un liard partagé en douze ?
Songez-y ; toute chose qui ne fait qu’un en soi
est plus forte que si elle est éparpillée.
1970Thomas, je ne te flatterai pas, moi :
tu voudrais avoir notre labeur pour rien.
Le Très-Haut, qui a créé tout l’univers,
dit que l’ouvrier a droit à son salaire.
Thomas ! je ne désire rien de votre trésor
pour moi-même ; mais c’est que notre couvent
est toujours si zélé à prier pour vous
et à bâtir la véritable église de Jésus-Christ.
Thomas ! si vous voulez apprendre à faire de bonnes œuvres,
vous trouverez s’il est bon de bâtir