Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/364

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« Ce qui est en ma possession
(dit-il), je puis donner cela et pas autre chose.
Vous me dites comme cela que je sois élu de votre confrérie[1] ? »
    « Oui, certes, (répondit le frère), soyez-en sûr ;
j’ai apporté à la dame de céans notre lettre avec notre sceau. »
    « C’est bien (dit l’homme), et je veux donner quelque chose
2130à votre saint couvent pendant que j’ai vie encore,
et tu l’auras dans ta main sur-le-champ ;
à cette condition, et à nulle autre,
que tu répartiras mon don, mon cher frère,
de manière que chaque frère en ait autant que les autres.
Tu vas me jurer cela sur ta profession de foi
sans fraude et sans équivoque. »
    « Je le jure, (dit le frère), sur ma foi ! »
Et ce disant il mit sa main dans celle du malade.
    « Vois, tu as ma parole, et je n’y manquerai pas. »
2140    « Eh ! bien donc, enfonce ta main le long de mon dos,
(dit l’homme), et fouille bien par derrière ;
sous ma fesse tu trouveras
une chose que j’ai cachée là en lieu secret. »
    « Ah ! (se dit le frère), cela sortira d’ici avec moi. »
Et il plonge la main jusqu’à la fente des fesses,
dans l’espoir d’y trouver un don.
Et quand le malade sentit le frère
qui tâtonnait de çà de là autour du trou,
il lui lâcha au beau milieu de la main un pet :
2150il n’est cheval tirant la charrette
qui aurait pu lâcher un pet de tel fracas.
Le frère bondit comme un lion furieux.
a Ah ! perfide rustre, (dit-il), par les os de Dieu,
tu as fait cela pour me dépiter, ma parole !
tu me payeras ce pet, si je peux ! »
Les gens du malade, entendant ce tapage,
accoururent et chassèrent le frère ;
et le voilà qui s’en va, le visage tout courroucé,
chercher son compagnon, celui qui gardait les provisions.
2160Il a l’air d’un sanglier sauvage,
il grince des dents, tant il est en fureur.

  1. Les frères accordaient à certains bienfaiteurs laïques des lettres de fraternité qui assuraient à ceux-ci des avantages spirituels.