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LE PROLOGUE.

120son plus grand serment était seulement : « par saint Éloi ! »
et elle s’appelait Madame Églantine.
Fort bien elle chantait le service divin,
entonné dans son nez, de façon fort séante.
Et français elle parlait fort bien et joliment,
d’après l’école de Stratford-le-Bow[1],
car le français de Paris lui était inconnu.
A table, bien apprise était-elle aussi ;
elle ne laissait aucun morceau de ses lèvres tomber,
ni ne trempait ses doigts dans la sauce profondément.
130Bien savait-elle porter un morceau à sa bouche, et bien garder*,
que nulle goutte ne tombât dessus son sein.
Dans la courtoisie elle mettait grandement son plaisir ;
sa lèvre de dessus elle essuyait si proprement,
que dans sa coupe* n’était nulle tache vue
de graisse, quand elle avait bu sa boisson.
De façon fort séante vers sa viande elle tendait la main*,
et sûrement elle était très enjouée,
et moult plaisante, et aimable de port,
et s’efforçait à contrefaire les mines
140de la cour, et à être majestueuse de manières,
et à être tenue digne de révérence.
Mais, pour parler de sa conscience,
elle était si charitable et si piteuse
qu’elle pleurait, si elle voyait une souris
prise à une trappe, et qui fût morte ou saignât.
Elle avait des petits chiens, qu’elle nourrissait
de chair rôtie, ou de lait et de gâteau.
Mais grièvement elle pleurait si l’un d’eux était mort,
ou si on le frappait d’un bâton rudement ;
150et toute était conscience et tendre cœur.
Moult bellement sa guimpe était plissée ;
son nez long et droit, ses yeux gris comme verre ;
sa bouche fort petite, et aussi douce et rouge ;
mais sûrement, elle avait un beau front ;
il était presque large d’un empan, je crois ;
car certainement, elle n’était point chétive.

  1. Couvent de Bénédictines, près de Londres. On y parlait l’« Anglo-Normand », comme à la cour et dans la haute société d’Angleterre.