Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/372

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et l’un d’entre eux, comme le plus sage et le plus savant,
ou comme celui dont le seigneur accepterait le mieux
qu’il lui dit ce que son peuple pensait,
90ou comme celui qui pouvait le mieux exposer telle matière,
c’est lui qui dit au marquis ce que vous allez ouïr :

« O noble marquis, votre bienveillance
nous rassure et nous donne le courage,
toutes les fois que s’en présente l’occasion et la nécessité,
de venir vous confier nos chagrins[1] ;
consentez aujourd’hui, seigneur, dans votre bonté,
que, le cœur affligé, nous nous plaignions à vous,
et que votre oreille ne soit pas sourde à ma voix.

Bien que je n’aie point plus de part en cette affaire
100qu’aucun autre homme ici présent,
cependant, puisque vous, mon seigneur si cher,
m’avez toujours témoigné faveur et grâce,
j’oserai d’autant mieux vous demander quelques instants
d’audience, pour vous exposer notre requête,
et vous, mon seigneur, en ferez tout juste ce qu’il vous plaira.

Car, certes, seigneur, nous vous aimons tant,
vous et vos œuvres, et toujours vous avons tant aimé[2],
que nous ne saurions nous-mêmes imaginer comment
on pourrait vivre avec plus de félicité,
110sauf en un point, seigneur : si c’était votre volonté
et votre bon plaisir de devenir époux,
alors votre peuple aurait le souverain repos du cœur.

Courbez la tête sous ce bienheureux joug,
fait de souveraineté et non de servitude,
et que l’on appelle épousailles ou mariage ;
et réfléchissez, seigneur, dans vos sages pensées,
combien vite passent nos jours, de diverses manières :
car en sommeils ou en veilles, promenades ou chevauchées,
toujours s’enfuit le temps, il ne s’arrête pour personne.

  1. Nous préférons isoler le vers 94, au lieu de le rattacher au vers 95, comme fait M. Skeat, qui ne met aucune ponctuation entre les deux.
  2. H. Skeat interprète autrement : « Nous vous aimons tant, tous et vos œuvres, et (tous et elles) avez toujours fait en sorte que nous ne saurions nous imaginer…, etc. »