Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/380

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Et pour que rien de ses vieux habits
ne fût apporté au palais, il ordonna
que des femmes l’en dépouillassent là même,
de quoi ces dames ne furent point fort aises,
d’avoir à manier les habits dont elle était vêtue.
Mais, néanmoins, cette jeune fille aux fraîches couleurs
des pieds à la tête a été tout de neuf habillée par elles.

Elles ont peigné ses cheveux restés sans tresses
380et en désordre, et de leurs doigts menus
ont disposé une couronne sur sa tête,
et l’ont couverte de joyaux, grands et petits ;
sur sa parure, pourquoi plus de détails ?
C’est à peine si le peuple la reconnut, tant elle était belle,
une fois transfigurée sous de telles richesses.

Le marquis lui a mis l’anneau des épousailles
qu’il avait apporté tout exprès, et puis l’a placée
sur un cheval, blanc comme neige et allant bien l’amble,
et jusqu’à son palais, sans plus s’attarder,
390parmi une foule joyeuse qui la menait ou venait à sa rencontre,
il l’a conduite, et ainsi ont-ils passé la journée
en fêtes, jusqu’au déclin du soleil.

Et, pour poursuivre ce conte en peu de mots,
je dis qu’à cette nouvelle marquise
Dieu, dans sa grâce, a départi tant de faveurs
qu’à en juger d’après les vraisemblances, on n’eût pas dit
qu’elle était née et avait été élevée dans la rudesse
d’une chaumière ou d’une étable,
mais plutôt qu’elle avait été nourrie dans le palais d’un empereur.

400Elle est devenue si chère à chacun,
si vénérable, que les gens de son village,
qui, depuis sa naissance, l’avaient connue d’année en année,
en pouvaient à peine croire leurs yeux, et auraient presque juré
que, de ce Janicule dont je vous ai. parlé,
elle n’était point la fille, car à leur idée
elle semblait être une autre créature.

Car bien qu’elle eût toujours été vertueuse,
elle était arrivée à une telle perfection