Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/398

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que Gualtier n’était pas un sot d’avoir voulu
changer de femme, puisque c’était pour le mieux.

Car elle est plus belle, leur semble-t-il à tous,
que ne l'était Grisilde, et d’un âge plus tendre ;
990et d’elle viendraient des fruits plus beaux
et plus charmants à cause de sa haute lignée ;
son frère aussi était si beau de visage
que le peuple prend plaisir à les voir
et loue maintenant la conduite du marquis.

L’auteur[1], — « O peuple tempétueux, inconstant et toujours infidèle,
toujours irréfléchi et changeant comme girouette,
et te plaisant toujours aux bruits qui sont nouveaux !
semblable à la lune, tu crois et décrois sans cesse ;
tu abondes en caquets qu’un liard[2] paierait trop cher ;
1000ton jugement est faux, ta constance supporte mal l’épreuve ;
bien fol est qui se fie à toi ! »

Ainsi parlaient les gens sérieux de cette ville,
tandis que la foule regardait, avide
et tout aise de la seule nouveauté
d’avoir une nouvelle souveraine en ses murs.
Mais, de cela je ne veux plus faire mention,
et je reviens maintenant à Grisilde,
pour raconter sa constance et ses soucis. —

Fort occupée était Grisilde à toutes les choses
1010qui se rapportaient au festin.
Elle n’était nullement humiliée par ses habits,
bien qu’ils fussent grossiers et aussi quelque peu déchirés.
Mais, d’un visage heureux, elle est allée à la porte,
avec d’autres personnes, pour saluer la marquise,
et après cela elle a repris ses occupations.

Elle reçoit les invités d’un air si heureux
et de façon si entendue, chacun selon son rang,

  1. Chaucer, de qui sont cette strophe et la suivante. Nous ne les trouvons pas aussi bonnes (so good) que le veut M. Skeat ; mais elles peuvent être quand même « une addition plus tardive » , suggérée par les incidents de la révolte des paysans en 1381. Ten Brink (English Literature, II, 123) propose l’année 1387 comme la date où ces deux strophes auraient été composées.
  2. « A jane », c’est-à-dire un sou génois.