Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/425

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Il la prend, il lui donne maints baisers,
et se couche pour dormir, et cela sur-le-champ.
1950Elle feignit d’être obligée d’aller
où vous savez que chacun doit par nécessité,
et quand de ce billet elle eut pris connaissance
elle le déchira en petits morceaux, à la fin,
et dans le privé doucement le jeta.
Qui est songeuse maintenant sinon cette belle et fraîche Mai ?
Elle est couchée près du vieux Janvier
qui dort jusqu’à ce que la toux l’ait éveillé ;
aussitôt il la prie de se mettre toute nue ;
il voulait d’elle, dit-il, prendre son plaisir,
1960et disait que ses vêtements lui faisaient encombre ;
et elle obéit, bon gré mal gré.
Mais de peur que gens précieux ne se fâchent contre moi,
comment il besogne, je n’ose vous le conter,
ni si elle trouva que ce fût le Paradis ou l’Enfer,
mais ici je les laisse besogner à leur guise,
tant que vêpres sonnèrent et qu’il leur fallut se lever.
Fut-ce destinée ou aventure,
fut-ce influence ou nature[1],
ou la constellation qui en telle position
1970se trouvait dans le ciel, que le moment était favorable
pour remettre un billet dicté par Vénus
(car toute chose a son temps, comme disent les clercs)
à une femme, en vue d’obtenir son amour,
je ne puis le dire ; que Dieu puissant là-haut,
qui sait que nul acte n’est sans cause,
en décide, pour moi j’aime mieux m’en taire ; —
mais le fait est que la fraîche Mai
à reçu ce jour-là une telle impression
de pitié pour ce dolent Damien
1980que de son cœur elle ne peut chasser
la pensée de lui donner réconfort.
« Certes (pensait-elle) s’en offense qui voudra,
il ne me chaut, car ici je lui promets
de l’aimer mieux qu’aucune créature,
ne possédât-il rien que sa chemise. »

  1. C’est-à-dire : « était-ce dû à l’influence des astres ou était-ce simple effet naturel ? ».