Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/444

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Cette épée nue, qui pend à mon côté,
a telle vertu que, qui que vous en frappiez,
elle taillera et percera son armure de part en part,
fût-elle aussi épaisse que chêne branchu ;
160 et l’homme qui par ce coup sera blessé
jamais ne guérira, à moins qu’il ne vous plaise, par merci,
de le frapper avec le plat à l’endroit même
de sa blessure : ceci revient à dire
qu’il faut avec le plat de l’épée
le frapper de nouveau sur sa blessure, et elle se fermera ;
ceci est la vérité pure, sans glose :
une fois dans la main, cette arme ne faudra point. »
Et quand le chevalier eut ainsi dit son conte,
il poussa son cheval hors de la grand’salle, et mit pied à terre.
170 Son coursier, qui resplendissait comme clair soleil,
se tient dans la cour, immobile comme une pierre.
Le chevalier à sa chambre aussitôt est conduit,
on le désarme et on le fait asseoir au festin.
En grande pompe on envoie chercher les présents,
à savoir l’épée et le miroir,
et on les fait porter incontinent dedans la haute tour
par certains officiers commandés pour cela ;
et à Canacée la bague est apportée
solennellement, à l’endroit où elle est assise à table.
180 Mais ce qu’il y a de sûr, sans fable aucune,
c’est que le cheval de bronze qu’on ne peut remuer
reste là debout, comme s’il était collé au sol.
Personne qui puisse le faire bouger de sa place,
serait-ce en employant treuil ou poulie ;
et pourquoi ? C’est qu’ils ne connaissent pas le secret.
Aussi le laisse-t-on en place
jusqu’à ce que le chevalier ait enseigné la manière
de le faire partir, comme vous le verrez tout à l’heure.
Grande était la foule, qui fourmillait en tous sens,
190 pour contempler ce cheval qui est là debout ;
car il était si grand, si large et long
et si bien proportionné pour être fort
qu’on eût dit tout à fait destrier de Lombardie ;
avec cela si parfait et l’œil si vif
qu’il semblait être un noble coursier de la Pouille.