Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/485

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envers vous, même si je sais réduit
1580 à aller mendier, sans rien que mon manteau.
Mais si tous vouliez m’accorder, but des garanties,
deux ans ou trois pour m’acquitter,
alors tout serait bien ; sans cela, il faut que je vende
mon héritage ; il n’y a pas autre chose à dire. »

Le philosophe répondit gravement,
et parla ainsi, après avoir entendu ses paroles :
« N’ai-je pas accompli mon engagement envers toi ? »
— « Si, certes, bien et fidèlement » dit-il.
— « N’as-tu pas eu ta dame comme tu le voulais ? »
1590 — « Non, non » dit-il, et il soupire tristement.
— « Quelle en a été la cause ? dis-le moi si tu le peux. »
Aurélius commença alors son histoire,
et lui dit tout, comme vous l’avez déjà entendu ;
ce n’est pas la peine de vous le raconter une autre fois.
Il dit : « Arveragus, par noblesse d’âme,
eût mieux aimé mourir dans le chagrin et la douleur
que de voir sa femme faillir à sa promesse. »
Il lui raconta aussi le chagrin de Dorigène,
combien elle avait horreur d’être une mauvaise épouse,
1600 et qu’elle eût mieux aimé ce jour-là perdre la vie,
et qu’elle avait donné sa parole innocemment :
« Elle n’avait jamais encore entendu parler d’illusions,
c’est ce qui m’a fait avoir d’elle tant de pitié.
Et, tout aussi généreusement qu’il l’envoya vers moi,
aussi généreusement je la lui renvoyai de nouveau.
C’est là toute l’affaire ; il n’y a pas autre chose à dire. »

Le philosophe répondit : « Cher frère,
chacun de vous a agi noblement envers l’autre.
Tu es écuyer et lui est chevalier,
1610 mais Dieu ne veuille, dans sa puissance bénie,
qu’un clerc ne puisse pas accomplir une noble action,
aussi bien que n’importe lequel d’entre vous, sans aucun doute.
Messire, je te laisse quitte de tes mille livres,
aussi bien que si tu venais à l’instant de sortir de terre,
et si jamais jusqu’à présent tu ne m’avais connu.
Car, messire, je ne veux pas prendre un sou de toi