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Groupe G


Le Conte de la Seconde Nonne[1].


Le Prologue du Conte de la Seconde Nonne.


La servante et la nourrice des vices
qu’on appelle en anglais « Ydelnesse »[2],
qui est gardienne de la porte des délices[3], —
à l’éviter, et par son contraire l’accabler,
c’est-à-dire par licite industrie,
nous devrions bien mettre tous nos efforts,
de peur que le démon par oisiveté nous prenne.

Car lui, qui avec ses mille lacets retors
est toujours à l’affût pour nous attraper,
10 quand il peut apercevoir homme oisif,
il sait si prestement le prendre à son piège,
que tant qu’il n’est agrippé par la basque,
il ne s’avise que le démon l’a en main ;
nous devrions bien travailler et combattre oisiveté.

Et même si l’homme ne craignait point de mourir,
il voit pourtant bien clairement, en raison,

  1. Ce conte est en grande partie traduit de la vie de sainte Cécile, telle qu’elle est racontée dans la Légende Dorée, compilation de Jacques de Voragine qui fut archevêque de Gênes à la fin du xve siècle. Abstraction faite du Prologue, la version est littérale jusqu’au vers 343 ; dans le reste du conte Chaucer a pris quelques libertés avec l’original. Il existe aussi de la Légende Dorée une version française par Jean de Vignay (imprimée à Paris en 1513) à laquelle Chaucer semble avoir emprunté l’idée de ses quatre premières strophes. — Le Conte de la Seconde Nonne est antérieur à la Légende des Femmes Vertueuses où il y est fait allusion sous le titre de Vie de sainte Cécile (Prologue, v. 426). Nous l’avons ici sous sa forme originale, car Chaucer ne l’a pas remanié en vue de l’insérer dans le cadre dramatique du pèlerinage. Le Prologue n’est pas une conversation entre l’hôte et la nonne. Le vers 62 : « moi, indigne fils d’Ève », et le vers 78 : « vous qui lisez ce que j’écris » prouvent que le conte n’était pas destiné à être mis dans la bouche d’une nonne ni même à être narré de vive voix. — La Seconde Nonne est l’« autre Nonne » du Prologue des Contes (v. 163).
  2. Idleness, l’Oisiveté, considérée comme une branche de la Paresse et personnifiée par une femme.
  3. Cf. dans le Roman de la Rose, la longue description de dame Oyseuse.