Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/501

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460 pour que tu puisses ores échapper par là. »
À quoi la sainte bienheureuse gente vierge
se prit à rire et dit au juge :

« Ô juge, confondu en ta sottise,
veux-tu que je renie l’innocence
pour me faire créature perverse ? (dit-elle).
Voyez ! il dissimule ici en audience,
il a l’œil écarquillé et il enrage en m’écoutant. »
À quoi Almache : « Pauvre misérable,
ne sais-tu pas jusqu’où mon pouvoir peut s’étendre ?

470 Nos puissants princes ne m’ont-ils pas donné,
oui, et pouvoir et autorité
de faire les gens mourir ou vivre ?
Pourquoi alors me parler si orgueilleusement ? »
« Je ne parle que fermement (dit-elle),
non orgueilleusement, car je le dis, quant à nous,
nous haïssons mortellement le vice d’orgueil.

Et si tu ne crains pas d’entendre vérité,
lors je veux te montrer tout clairement, par raison,
que tu as dit fort grand mensonge en ceci.
480 Tu dis que tes princes t’ont donné pouvoir
et de meurtrir et de faire vivre une créature,
toi, qui ne peux rien que ravir la vie seule ;
tu n’as pas d’autre pouvoir ni congé !

Il t’est permis de dire que tes princes t’ont fait
ministre de mort ; si tu en dis davantage,
tu mens, car ta puissance est toute nue[1]. »
— « Quitte cette hardiesse (dit Almache alors),
et sacrifie à nos dieux, avant de partir ;
point[2] ne me chaut des injures que tu m’adresses,
490 car je peux les souffrir en philosophe ;

mais les injures que je ne peux endurer
sont celles que tu dis de nos dieux » (fit-il).
Cécile répondit : « Ô sotte créature,

  1. Toute nue, c’est-à-dire « toute faible, misérable ».
  2. Presque tout ce qui suit dans ce passage est de Chaucer. Les vers 489-497 et 508-511 sont entièrement de lui.