Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/516

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à moins que ce ne soit, comme lui-même, un diable.
Il a friponné bien des gens jusqu’ici,
et il continuera, s’il peut vivre encore quelque temps ;
et pourtant on fait bien des milles, à cheval et à pied,
pour le chercher et pour faire sa connaissance,
ne sachant pas sa trompeuse conduite.
990 Et s’il vous plait de me donner audience,
je vais la dire ici devant vous tous,
Mais, vénérables et pieux chanoines,
ne croyez pas que je médise de votre maison,
bien que mon histoire parle d’un chanoine.
En tout ordre, pardi ! il y a un coquin ;
et Dieu garde que toute une compagnie
paye pour la sottise d’un particulier !
Médire de vous n’est nullement mon intention,
je voudrais seulement corriger ce qui est fautif.
1000 Ce conte ne fut pas dit seulement pour vous,
mais pour d’autres aussi ; vous savez bien
que parmi les douze apôtres du Christ
il n’y avait de traître que Judas ;
aussi pourquoi blâmerait-on tous les autres
qui étaient innocents ? De vous j’en dis autant.
Sauf pourtant ceci, si vous voulez m’écouter,
que si quelque Judas vit en votre couvent,
éloignez-le à temps, je vous le conseille,
si la honte ou la perte sont à craindre.
1010 Et ne soyez nullement mécontents, je vous prie,
mais en cette affaire écoutez ce que je vais dire.

À Londres était un prêtre, un annuelier[1],
qui avait habité là bien des années,
lequel était tant serviable et tant plaisant
à la femme chez qui il prenait pension,
qu’elle ne voulait pas souffrir qu’il payât rien
pour la table ni l’habillement, si brave se fit-il ;
et pour l’argent de poche il en avait assez.
Laissons cela ; je vais maintenant poursuivre,
1020 et raconter mon histoire du chanoine,

  1. Annuelier, ou Annualier, prêtre qui était employé uniquement à chanter les messes d’anniversaire.